Jean-Pierre Depétris
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tanker

AURORE


 

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[CINQ]

 

 

 

au rose des falaise, les nuages plein ouest, semblent lourds, nuages blancs, où ils ne sont jamais, minuscules les îles, et la barque au soleil, le cœur, déjà qui bat plus vite, la chanson du juke box, l'ivresse d'être là, les parasols ORANGINA dans l'aube, MENU 60F, et la brume déjà qui efface le ciel, dissout les nuages droits, bleuit la mer et la tache de flaques, la bouée rouge que passe le bateau, la silhouette des falaises,

la grange où l'on ne voit plus rien, ébloui quand on entre, puis les yeux s'habituent, pourraient lire, quoique remplis encore de sentiers, de sapins sous le vent, sec, les framboisiers encore tachés de boue sur le bord du

 

 

 

chemin, la rivière si froide, malgré la chaleur qui fait craquer les branches,

les ans qui font chanter si fort un simple numéro, la brouette oubliée, près de la grange, quand les criquets remplacent les crapauds, peuplant l'espace et le traçant d'appels, comme l'homme de routes,

ou de maisons, les toits penchés, les tuiles ou l'ardoise que vient gommer la brume, peu avant la chaleur — la soif — qui éblouit dès qu'entré dans la grange,

les bruits de la scierie, l'ombre du cerisier, le dancing près du lac au fond de la vallée,

 

 

 

et les chiffres chargés de vertige, la date, le prix, l'instant et la valeur ainsi nommés dans la quantité pure, 1993, MENU 60F, boissons, snack, glaces , la médaille qui brille au cou sur la peau nue, le soleil déjà haut, fait date,

midi,

 

la plage, et les îles, les nuages cotonneux revenus, Nord-Ouest, vent faible qui vient de se lever,

l'odeur du sel, de la mer, à quoi l'on ne s'habitue pas, comme l'odeur du foin, le bar frais aux bouteilles rangées, s'il se peut que le temps efface, comme brume le ciel, le bar en planches au coin de La Corniche, avec les grands billards, le bar du Libanais, près de Malmousque, aux murs couverts de fresques représentant des scènes des Mille et une Nuits, aujourd'hui marchand de surgelés,

 

 

 

le chemin sous les saules, les escaliers de pierres, quand sur la mer, plate comme jamais, un point clair laisse un sillage de manganèse sombre frangé d'écume,

la galerie rouillée sur le toit du fourgon,

 

ABUS DANGEREUX écrit sur le verre, Nuit gravement à la santé, sur le paquet de tabac, Selon la loi n° 91-32, grouillent les mots, partout, grouillent les lettres, Carrefour, CENTRE VILLE, LA PLAGE, servis par journaux entiers sans que ne soit écrit jamais : Nuit gravement à la santé mentale, La Rouvière Service de Sécurité, Comptoir des viandes,

POLICE , sur la voiture blanche, rayée de rouge et bleu, à l'endroit, à l'envers, partout les mots, WINNER sur un tee-shirt, ARTISANAT COMMERCES SERVICES, des mots se réduisant aux lettres RTM, indéchiffrables TPE, parfois chiffrés, M2AS, lettres grouillant à la surface de la terre,

PMU, Ici, conseils pour retirer jusqu'à 2 millions de francs.

Protection incendie, sur fond rouge,

jetés pour rien, comme les têtards dans la mare, entre la départementale et le talus, la voie ferrée, les peupliers droits, les ifs, qu'ici on appelle « piboures », les têtards en surnombre, qui nourrissent les jeunes poissons entre les roseaux de la marre, agités, comme des lettres dépliées,

lettres grouillantes, imprimées à grand frais, aussi merveilleusement dérisoires que la vie des têtards, qui parfois, par hasard font crapaud, idée qu'on peut se faire du hasard,

de la nature, VermInE,

 

des lettres en surnombre, comme graines éparses, que jettent branche et fleurs sous les nuages dressés, pilonnes électriques si droits, les fils qui s'entrecroisent et l'appel des criquets qui succède au crapaud, parfois lèvent, —

TOUTES DIRECTIONS

disaient les lettres noires que j'avais vues enfant, étonné, incrédule, concevant mal alors qu'une route pût emprunter

toutes les directions en même temps, la voiture roulait, glissait, toutes les directions sous les nuages gonflés d'ombres bleues, les hauts pilonnes entrecroisant leurs fils,

en toutes directions, avalant l'horizon, les roues, les yeux, les pneus noirs, ronds, le souffle de la vitre baissée, la carte Michelin, sillonnée, en toutes directions,

ainsi parfois les mots lèvent du sens, font point de mire, tracent image, mouvants, comme poissons sous l'eau, ou nuages, d'ombres bleutés, les oiseaux sur le fil,

dans la campagne bleue, les banlieues qu'on anime, le chant du poulailler, les graines, qui ne lèveront pas, comme les lettres, en volées, les oiseaux pour la chasse, la boue déjà séchant sur le bord du chemin, les ronces, framboisier, papillons bleus qui s'élèvent des flaques aussitôt qu'on approche, se reposent aussitôt qu'on s'arrête, lèvent au premier pas,

 

 

ou,

le ciel noir,

janvier à la même heure, clouté

d'étoiles, que le vent de la neige a lavé, la lune qui se couche, rouge, sur les îles, quand la clarté à peine pointe à l'est,

qu'un vent glacé fait braises,

 

 

ou juin,

le ciel strié de blanc, qu'un courant d'altitude déchire, étire, filament si près de l'inscription,

lire le ciel,

les champs semés de coquelicots

quand la terre des pinèdes est fraîche encore, et qu'on le sent dès la couleur, à l'ombre du figuier où s'allonge le chat,

 

 

ou

L'hélicoptère dans le vent, avançant comme un crabe, son bruit fort, qui étire le ciel, pales rapides, glissant et immobile, pourtant banal mais fait lever les yeux,

l'hélico, mouvant dans sa musique — le crapaud, le criquet —, fait point

où s'enroule les pales, point de fuite où les branches davantage se tendent, quand lève le regard,

les ifs droits du chemin et la pente des toits,

les branches des genêts,

descend, fait corps au bleu du ciel, son bruit fort, l'auréole invisible des pâles, fait cime de l'essieu,

donne centre à l'espace, glissant dans l'air, l'ouvert, le bleu béant,

pilonnes des talus, le filet de volley,

le pouls silencieux du soleil sur la peau, le chant de l'hélico qui couvre les cigales, le bleu aveugle,

 

 

ou,

silence d'un instant qui tombe dans la rue, les murs où joue le jour, lumière, les cannisses, les murs serrés, jardins, l'acacia, le grillage,

les feuilles du platane qui imitent les nuages, la vielle CITROËN, 768 BD 13, la chaleur du parking et l'odeur de l'essence

qu'agace la chaleur, l'ocre des pots de terre sur la commode délavée, la tige du lierre, la feuille à peine éclose, vert pâle et saturée de jaune, comme une main fragile veinules dépliées, le jour éclatant du jardin, la verrière dorée, le jour qui traverse le vert, le saturant de jaune,

l'odeur de la station service, les pots sur la fenêtre, l'air saturé,

 

 

les rochers de la digue, la porte peinte en bleu, l'attaque de la rouille,

l'air chaud et le ciel qui se voile, nuages rapides, vent du sud,

les taches de soleil, qui courent sur la mer et la plage, du soleil qui bleuit les couleurs,

l'ombre sur l'horizon, crêtes blanches du large, mais calme est la crique abritée,

les genêts des collines, délavées les couleurs, écrasées par le bleu,

jaune la robe décolletée, le Schweppes INDIAN TONIC, le camion de la poste, les canoës kayaks,

jaune et bleu les deux phares marquant l'entrée du port,

jaune et bleu, le vert rare, hantant la mer, le fond du ciel sous l'horizon, l'eau calme

mais puissante, sous l'ocre des rochers, courent les plages de lumière, verts bleutés, l'ocre lavé,

va et vient de la voile qui remonte les vagues, dans le mouvement de la marche, la force du grimpeur,

le même bleu sur les îles pelées — proche du vert — que l'eau profonde du barrage,

la mer, qui vire au vert, quand le ciel se découpe,

le rouge du ballon,

 

 

le klaxon des voitures qui se perd dans le ciel,

où les oiseaux se noient, immobiles, migrant sur la terre qui penche,

 

 

immobiles, la terre qui oscille, comme le nageur dans la vague, attentifs au soleil, résistant aux courants, sur la terre qui penche, entraînée

sous leurs yeux, quand peut-être l'un voudrait bien se poser, mais attentif à l'ombre que porte le soleil — faisant courir ses taches sur la plage et la mer — tout autant qu'entraîné par la horde,

immobile à l'axe du soleil quand la terre se penche, les étoiles noyées,

 

le Ballon rOUGE,

Roule

la balle au bOND,

 

rond,

la roue, les yeux,

l'odeur des pneus lourds, la station au sol gras, le rond du soleil pâle,

entre les taches d'or rapides,

 

 

quand les blés sont encore verts mais jaunissant à peine, et les coquelicots rouges, encore, par nappes, les champs bordés de pins, la chaleur étouffante déjà, et que pluie et soleil ont vieilli les affiches

contre l'arrêt du bus, l'imprimerie fermée,

qu'on débroussaille les pinèdes sans comprendre que la terre en deviendra plus sèche, que les bêtes et les arbres mourront,

quand le chien arrive en courant dans la bande de jeunes, en cherche les regards, oublie qu'il est un chien, que les jeunes l'oublient aussi, cessent de lui parler

comme à un chien, et partagent plutôt le regard,

comme les bergers, échangeant en silence, au sifflement strident, les doigts entre les dents,

quand les voitures de police veillent, surveillent les bandes de jeunes, demandent aux municipaux de tailler les buissons pour mieux voir, partout, et dessèchent la terre où volent les papiers,

quand l'eau se fait rare en été malgré les nuages lourds, et que la presse annonce que des poissons se sont noyés dans la rivière en crue,

 

 

 

quand rode la police guettant on ne sait quoi, mais semblant le savoir, peut-être l'annonçant,

quand l'homme oublie qu'il est un homme, quand les livres mêmes sont policiers, quand les chiens cherchent les regards, attendent la parole, semblent certains en cet instant de pouvoir la saisir, les oreilles tendues et le regard qui guette,

 

 

 

et que la terre penche sous le vol de l'oiseaux, battant l'air pour garder au soleil le même axe, immobile sur la terre mouvante

et glissant sous l'oiseau,

mais traîné par la horde,

et l'homme ainsi, forçant son pas, quand un pluriel vient cacher le soleil, fait la loi pour se perdre, oublie le glissement, le nacre des coquilles, croit que la règle est là comme rampe à sa vie, garde-fou, va-t-il jusqu'à la dire,

 

 

 

quand descendu du car rien ne reste, seulement les genêts secs, coquelicots, toits rouges dans la plaine, la voie ferrée étroite sous le pont,

filant au loin, tous

filant,

fuyant, sous les nuages dressés, le beffroi, les platanes, au loin,

sans pensées,

que ne reste plus rien, si ce n'est les visions, les senteurs, le vent chaud, les images levées,

filantes sous le ciel, sans pensées, sans

rêve, la trame pour l'oubli, le monde si précieux, mais passant,

précieux parce que passant,

où la pensée s'accroche, se tisse sur l'image, se trame dans l'oubli, précieux comme le monde

qui se perd dans l'image,

quoique jamais perdu, ni perdant, car se perdant toujours,

filant,

et se tissant ainsi que se file l'aiguille,

sur le trame des sens,

filant, traçant sa route, comme le vent à la toile fait corps,

 

 

 

 

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