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À LA MANIÈRE DU HAÏKAÏ
Le haïkaï est une forme de poésie qui tient, dans les lettres japonaises, une place aussi importante que le sonnet en Europe. Le haïkaï est un poème de trois vers respectivement de cinq, sept et cinq syllabes. Sous le nom de haïkaï-renga, il se pratiquait en groupe, les participants improvisant à partir dun verset initial. (Voir lexique.)
Laspect formel ne nous importe pas ici pour lui-même. Nous nous sommes reportés à louvrage traduit et présenté par René Sieffert Traités de Poétique - le Haïkaï selon Bashô, qui est un recueil de traités du dix-septième siècle. Des maîtres de lécole de Bashô y citent quantité duvres et les commentent. (Voir documentation.)
Du point de vue formel, le haïkaï est le genre poétique le plus minimaliste qui puisse se concevoir. Que peut-on dire avec si peu de mots ? Pratiquement rien ; on na dautre ressource que de donner à voir.
« Le premier cri de la mouette au-dessus de genêts en fleur. »
Voici la phrase dun auteur contemporain qui sonne comme un haïku. Elle propose une scène quil est simple de se figurer. On voit, et lon peut même entendre.
Ces quelques mots contiennent bien plus dinformation quils nen ont lair. La présence de la mouette indique la proximité de la mer, les genêts en fleur laissent savoir quon est en fin dhiver, et quelle pousse son premier cri donne lheure matinale, même sil est vrai que les mouettes crient volontiers la nuit.
Un mauvais poète aurait pu écrire : « Jaime le chant des oiseaux dans la nature. » À moins quil nait tenu à spécifier : « Cétait un matin de fin dhiver sur la côte » dans un style plus prosaïque et proche du récit.
Il se peut quun lecteur ne perçoive pas nettement, dans la phrase que je cite, que nous sommes sur la côte dans un matin dhiver. Quimporte puisquil y est transporté. À linverse, avec le troisième exemple, il pourrait sempresser de loublier, comprenant, mais ne percevant pas.
Je commence toujours avec des Haïkus, qui font la meilleure introduction à lécriture créatrice. Dabord, et cest loin dêtre négligeable, on peut très vite arriver à des résultats satisfaisants. Dautre part, ils permettent de se débarrasser tout de suite dune légitime pudeur. Pas question ici de se livrer à la page, au contraire on sera attentif au monde le plus objectif, tel quil soffre aux sens.
On part en chasse de perceptions vivaces et lon écrit daprès modèle. Muni dun stylo et dun cahier, on va promener, dans un parc, par exemple, comme nous lavons fait, et lon note ce qui mérite dêtre retenu comme on pourrait aussi bien prendre des photos.
Le principe est fort simple : pas la place ni le temps dénoncer des pensées, des émotions, ni même de décrire. Les mots ne peuvent quévoquer des choses, croquer une scène fugace, et ce sera à elle de parler comme le ferait une bonne photo.
© Jean-Pierre Depétris, 2002