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D'un pays lointain
Comme les haïkus déjà le laissaient deviner, le plus important est dêtre attentif. On parle bien de ce que lon perçoit et pour percevoir on doit observer. La meilleure attitude pour écrire est celle du chasseur. Être attentif demande dabord de nettoyer son regard de tout ce qui est trop bien connu. Cest à quoi le texte dHenri Michaux Je vous écris dun pays lointain est une très bonne introduction.
De prime abord ce texte est un recueil de lettres sibyllines écrites dun étrange pays, mais à y regarder mieux, ce pays na rien détranger, et tout ce qui est décrit relèverait de la banalité si ce nétait la façon inhabituelle de voir. Le travail proposé consiste simplement à lire ces textes et à les prolonger. (Voir quelques extraits.)
Ce nest pas si simple. Quiconque assiste à un tel travail a deux surprises. La première est que les élèves commencent par ne rien comprendre, strictement rien. La seconde est quen guère plus dune heure, ils ne manquent pas de percevoir ce qui aurait pu échapper à un bon lecteur. Comment passer de lun à lautre ?
Quand on lit Michaux à haute voix, on se rend compte quil nest pas très facile à lire, et pas seulement pour des enfants. Ses phrases sont moins faites pour être lues que pour être entendues, ce qui est sans doute le principal caractère dune langue littéraire.
On nécrit pas exactement comme on parle, ni on ne parle comme on écrit. Les deux façons demployer la langue ont des ressources qui leur sont propres et quil nest pas facile de convertir de lune à lautre. Un tel divorce est cependant préjudiciable et produit des difficultés délocution ou décriture quand il devient excessif. À lopposé, lart littéraire consiste pour lessentiel à conserver dans lécrit la fluidité de la parole.
Lhabitude de la lecture les enfants scolarisés la pratiquent quand même intensivement pour utile quelle soit, a des effets secondaires. On shabitue à reconnaître les mots à quelques lettres, et à comprendre les phrases en reconnaissant quelques mots. On lit vite, mais on ne lit pas la moitié du texte, et surtout on ne lentend pas.
Ces pages de Michaux sont un excellent moyen de sentraîner à lire correctement, cest à dire à prononcer dabord les mots et les comprendre ensuite en les entendant. Non, il nest pas du tout nécessaire de comprendre ce quon lit (des yeux). Un logiciel saurait le faire, et si le texte est bien écrit, il sonnera juste. Il suffit darticuler bêtement les syllabes et de respecter scrupuleusement la ponctuation. Si lon sait faire les liaisons, qui contiennent beaucoup dindications grammaticales, cest mieux encore.
Au bout de quelques répétitions, les élèves prononcent des phrases nettement plus intelligibles et quils commencent naturellement à comprendre. Il reste alors à sarrêter aux mots inconnus ou employés de façon déroutante. Ignorance nest pas vice, et lon prend tout son temps. On peut alors envisager décrire une suite possible à ce que lon a lu.
© Jean-Pierre Depétris, 2002