Sint II

Jean-Pierre Depetris, août 2023.

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géopolitique de l’esprit

Le 8 avril, étonnants Houthis

Les sanctions des Houthis contre les pays qui participent au génocide se révèlent efficaces, plus qu’on ne le croyait, et la flotte coalisée qui les bombarde, plutôt inefficace.

Les Houthis nous surprennent. Quel contraste avec l’État Islamique, qui aurait pu devenir lui aussi un peuple en armes, et combattre efficacement l’occupant ; mais ils ont immédiatement dégénéré en hordes folles terrorisant les populations, massacrant sans pitié.

Les Houthis étaient des combattants très jeunes, presque des enfants, et probablement écervelés, excessifs… Pourtant, quelle efficacité !

Loin de terroriser, ils font modèle sur le reste du Yémen. Est-ce l’effet du khat, cette sorte de drogue que l’on mâche et qui excite l’esprit ?

L’Iran les a soutenus, mais ne les contrôle pas. Quelques photos suffisent à se convaincre qu’ils sont totalement incontrôlables ; mais combien efficaces !

L’Ouest Sauvage se fait toujours croire que des résistances populaires seraient dirigées de l’étranger, comme par exemple, la France ou Israël par les États-Unis. Pas évident.

La Fédération, comme la Chine ou l’Iran, n’ont pas à faire de la propagande. L’Ouest Brutal la fait pour eux. Celui-ci n’a pas l’air de comprendre que sa propagande est partout accessible. Elle n’est pas censurée en Russie comme des chaînes russes en France. Tous la voient et l’entendent, et savent à quoi s’en tenir. C’est aussi ce que j’observe à Dirac.

« Les Néocons étasuniens, après avoir poussé Israël à bombarder le consulat iranien à Damas, s’attendaient probablement à ce que l’Iran frappe un consulat israélien en retour », nous dit Farzal. « Ils croient qu’ils n’ont qu’à siffler. »

« Ce serait complètement illégal », relève Sariana. « Les Iraniens ont mieux à faire, que de les dédouaner. »

« Quoi donc ? » Continue Farzal. « Je n’en ai pas la moindre idée, mais il ne m’appartient pas d’en chercher une. »

Farzal est de retour. Je ne sais pas où il était parti. Il est rentré hier-soir, et ils nous ont invités à dîner.

« Vous n’aurez qu’à rester coucher. Vous n’aurez pas à rentrer dans la nuit. »

Il va pleuvoir cette nuit ; encore cette pluie sableuse. Nous avons laissé fermés les volets.

Le 10 avril, la République et l’Empire

L’on ne peut comprendre les luttes aux États-Unis tant qu’on cherche à les faire entrer dans une grille gauche contre droite. Pour comprendre, l’on doit plutôt remonter à Jules César, à l’époque où il dut se battre contre celui qui avait d’abord été son mentor, Pompée.

– Je vois mal le vieux Biden en César, rit Sinta qui connaît bien ses classiques.

C’est bien vrai, mais le vieillissant quoique énergique Trump, fait une bonne figure du brutal Pompée. En tout cas, la ligne de démarcation est là : la République contre l’Empire.

L’on ne doit pas s’y tromper, Pompée était aussi un défenseur de l’Empire, pour lequel il avait mené de nombreuses campagnes militaires au proche et au moyen Orient ; mais il n’acceptait pas qu’on lui sacrifiât la République. C’est exactement l’idée de Trump.

Où étaient la gauche et la droite en vingt-neuf avant Jésus-Christ ? César ou Brutus ? L’on ne sait dire. Qui offrait le plus au peuple ou à l’oligarchie ? Qu’est-ce à dire ? Qui fournissait le pain et les jeux, ou qui assurait les institutions républicaines ? La question est complexe et se joue sur un billard à plusieurs bandes.

Mes compatriotes d’alors, les Massaliotes, avaient choisi Pompée, et l’on sait que ce ne fut pas une bonne idée ; mais il suffit de lire les Politiques d’Aristote, ouvrage déjà ancien à l’époque des faits, pour comprendre qu’ils ne pouvaient pas faire un autre choix, même si Jules César était pourtant citoyen honoraire de Marseille. Ils auraient pu demeurer neutres ; César les aurait bien compris, comme il le confiait dans ses lettres.

– L’on ne peut pas te reprocher de ne pas te donner du recul historique, s’amuse encore Sint. Tu n’es pas comme ceux qui expliquent la stratégie israélienne depuis le 7 octobre ou la guerre en Ukraine depuis 2022.

Trump n’est certainement pas plus à droite que le néocon Biden, et sur bien des points, beaucoup moins. Cette fois il bénéficie d’appuis venus de sa gauche, contrairement à l’élection précédente où il s’entourait de soutiens fortement droitiers.

Le 11 avril, des grammaires

Je viens d’écrire un mémoire fort complet sur la façon dont la langue française, et accessoirement les autres langues européenne pallient l’absence de modes « parfait » et « imparfait » tel qu’on les trouve dans la langue arabe.

Le mode parfait, « madi », y est comparable à l’infinitif en français, mais il est un mode à part entière, doté d’une conjugaison complète. Comme dans la langue française, il sert parfois de substantif. On l’emploie alors au présent à la troisième personne du singulier. (l’écrire, en arabe kataba.) En anglais l’on utilisera plutôt alors le gérondif.

Le mode madi permet d’énoncer des nuances intéressantes. Il domine le Coran. Nous y perdons nécessairement quelque-chose quand nous le traduisons en indicatif, mais comment faire autrement ?

La passé simple est le temps le plus indiqué, mais il ne dispose pas d’assez de nuances, même accompagné du plus-que-parfait, ou encore du futur antérieur.

En français, nous employons souvent le présent qui rend bien le parfait. Je dis « il pleut » ; mais le sens est différent selon que je dise « il pleut maintenant », ou bien « il pleut au printemps ». Dans la seconde occurrence, nous pensons automatiquement la conjugaison au parfait, même si rien ne nous l’indique. Il arrive pourtant que l’absence d’un tel mode se fasse sentir. Avec suffisamment d’attention, il n’est pas très difficile de le rendre, mais l’on doit y être attentif en traduisant.

J’ai éprouvé un intense plaisir à rédiger ce mémoire pour le département de langue française de l’université de Dirac. Chaque grammaire à toujours de larges possibilités pour transcrire les subtilités d’une autre.

À vrai dire, je n’en sais rien. Il faudrait en connaître beaucoup pour en être sûr. Je suppose que tout dépend des langues en question, et surtout des efforts qui ont été accomplis au cours des âges pour y parvenir, car les grammaires se peaufinent et évoluent au fil des traductions.

Il faudrait que je rédige un semblable mémoire un jour sur la façon dont le français, l’anglais et l’allemand ont évolué en se traduisant systématiquement l’une l’autre à l’époque moderne. En rédigeant celui-ci, je songeais combien je devais utiliser de ficelles pour parler des deux langues à la fois quand un simple duel eût été si commode.

Nul n’a besoin de grammaires aux règles parfaitement formalisées pour parler une langue. Elles ne servent pas à cela, elles servent à traduire.

Le 12 avril, la démocratie en Amérique

Il y avait longtemps que je n’étais plus descendu au parc du Palais de justice. Les fauteuils de la buvette sont confortables. Je l’apprécie après avoir marché.

L’on m’a encore dit que je paraissais plus jeune que mon âge. Oui, de l’extérieur ; mais de l’intérieur c’est différent. Je fatigue vite.

Le printemps s’est installé. Il fait chaud maintenant, et de petites feuilles ont poussé sur les arbres. L’on cherche l’ombre déjà.

L’on commence à apercevoir des nombrils et des chevilles. Cela donne envie de danser. Mon esprit lui aussi est resté jeune.

Je me disais qu’il n’y a aucune chance que les élections se passent bien cet automne aux États-Unis. La fraude électorale y est endémique et structurelle, et le système ne marche que si les participants sont bien décidés à trouver des compromis. Ce système est plutôt byzantin, et il favorise les ententes à l’amiable. Le résultat des urnes, si l’on peut dire, ne se décide pas véritablement dans les urnes.

L’on a bien vu, la dernière fois, que cet état d’esprit n’est plus de mise. S’il n’était question que de choisir « le locataire de la Maison Blanche », et certainement pas de déranger l’inamovible « administration », tout resterait possible, mais ce jeu n’a plus cours.

Il est si facile de fausser les scrutins aux États-Unis que le contraire serait bien plus complexe, et pour tout dire, impossible si on le décidait. Quels que soient les résultats, il provoqueront de violentes contestations que l’on ne saurait résoudre à la courte paille. La question n’est d’ailleurs pas qu’elles le soient, mais que les électeurs y croient ; et c’est improbable.

Nous savons que le résultat du scrutin ne se résoudra pas dans son dépouillement. Reste à savoir comment il sera décidé. Nous verrons bien.

Le 15 avril, une toute petite chose

Bon récapitulons. Où étaient les enjeux ? Les Iraniens avaient-ils les moyens de frapper Israël où et quand ils le voulaient ? La preuve est faite. Les Israéliens n’ont pas eu de victimes ni de pertes considérables pour ce que l’on en sait, mais nous savons aussi que les Iraniens l’ont fait exprès et les avaient prévenus. La preuve est faite que les États-Unis et leurs alliés, France, Grande Bretagne, etc., ne sont pas capable de protéger Israël d’une attaque iranienne, qui aurait pu faire bien plus mal.

Qu’elle n’ait pas été plus meurtrière ni destructive montre à contrario la maîtrise parfaite que les Iraniens ont de leurs armements ; il est difficile de ne tuer personne d’une telle distance sans le faire exprès.

D’autre part nous ne pouvons tenir pour négligeable le coût de cette seule nuit. Ce n’est pas tant son coût en dollars qui importe (nettement plus d’un billiard je crois), les États-Unis ont de quoi en imprimer, c’est surtout la capacité de renouveler ces moyens. Combien de fois les deux camps seraient-ils capables de répéter l’exploit ? Davantage pour les Iraniens que pour les États-Unis.

Les fois suivantes, le système de défense serait ciblé, et il deviendrait moins performant après chaque attaque, comme nous l’avons vu avec les Russes en Ukraine.

Attaquer l’Iran ? Le dispositif pétrolier est sa seule vulnérabilité, mais l’Ouest Sauvage aurait-il intérêt à perturber le marché du pétrole ?

Ce fut le contenu des premières conversations de ce lundi. J’ai retenu pour ma part des observations moins factuelles. Ma première impression, quand j’ai vu sur l’écran le ciel où les premiers missiles étaient attendus, fut combien Israël est peu de chose.

Cette impression s’est renforcée quand j’ai accédé plus tard à des images du dispositif de défense. Il était démesuré. Tant de pays y avaient placé l’essentiel de leurs moyens, que l’entité sioniste semblait soudait une toute petite chose.

L’attaque avait simplement rendu visible la démesure. Je l’ai vue de mes propres yeux, comme elle ne m’était encore jamais apparue, et je ne saurais croire qu’il n’y eût que moi.

Les seules forces de l’Iran, contre la coalition de tout l’Ouest Sioniste, l’ont démasquée. Personne ne l’oubliera.

Le 16 avril, les vents

« La République islamique a fait preuve d’une étonnante maîtrise de l’arme numérique », a dit Farzal.

« Au point que l’on soupçonne qu’un petit coup de main lui ait été donné », a continué Sariana.

« Les Chinois sont les mieux équipés en matière de puissance de calcul », ai-je dit. « Si ce coup de main est avéré, il dénoterait une grande confiance. »

« Oui », a repris Farzal, « il semblerait que la Chine, la Russie et la Corée du Nord en soient venus à partager généreusement leurs moyens militaires. Cela témoignerait certainement d’une grande confiance. »

« Si l’on se souvient de la méfiance et du poids des contentieux entre ces quatre pays il n’y a encore qu’un quart de siècle, il y a de quoi en être surpris. »

« En effet », ai-je dit. « L’Islam semblait un danger existentiel pour le socialisme, non sans quelques bonnes raisons, et le socialisme paraissait aux Iraniens une peinture neuve de l’Impérialisme. La Russie avait renoncé au socialisme et s’apprêtait à se rallier à l’Ouest Sauvage ; la Chine avait pactisé avec les États-Unis ; et tous laissaient la Corée du Nord crever la gueule ouverte, son territoire ne pouvant abriter une véritable agriculture vivrière. »

« Sans doute la confiance est-elle plus forte quand elle a traversé des épreuves », est intervenue Sinta, « plutôt qu’elle ne se soit établie sur des calculs bien pensés pendant que tout allait bien. “Un arbre est plus fort quand ses racines ont longtemps résisté à l’épreuve des vents”, disait Confucius. »

«L’histoire aura soufflé en rafales ces dernières années », a conclu Sariana.

Le 19 avril, je rasoir d’Ockham

Trois ou quatre objets volants non identifiés ont été abattus au-dessus d’Ispahan. Bizarre.

Ce devait être des drones israéliens. Mais comment étaient-ils arrivés là ? Ispahan est loin d’Israël ; sans l’aide étasunienne, Israël n’a pas les mêmes moyens que l’Iran. Les commentateurs ne s’interrogent pas. Moi si.

Comment ont-ils pu apparaître dans le ciel d’Ispahan. L’Iran est un grand pays, et Ispahan est loin de toute frontière. Comment ont-ils volé jusque là sans être abattus ?

L’on hésite à croire que les Israéliens auraient trouvé un moyen de courber l’espace-temps comme dans le roman de Franz Herbert, Dune. Personne ne s’interroge.

Les Iraniens voulaient sans doute savoir d’abord où ces drones se rendaient.

– Je crois que tu as éliminé toutes les autres possibilité, me dit Licos en riant. Ce doit être la bonne explication.

– Il est quand même curieux que personne n’ait jugé nécessaire de la chercher, non ?

– C’est que la question ne se posait pas.

– Moi, ça me perturbe.

– Moi, la question qui me perturbe serait plutôt ce que cette tentative d’attaque cherchait à prouver.

Le 21 avril, distancier le commun

L’Iran n’est plus la forteresse du Chiisme seul, Il l’est depuis peu devenu de l’Islam tout entier. Cette situation est plus confortable. L’Arabie Saoudite n’est plus le centre de l’Islam sunnite, et moins encore wahhabite, mais de tout l’Islam, et c’est aussi plus confortable. Leur rapprochement n’est donc pas circonstancié alors, mais sûrement aussi profond qu’il est durable.

L’Arabie n’a plus besoin de la protection des États-Unis. Elle a celle de l’Iran maintenant avec qui elle partage la même vulnérabilité sur les dispositifs pétroliers du Golfe Arabo-persique, et donc aussi de la Russie et de la Chine.

L’on craignait que ce retournement ne provoquât des remous, mais apparemment il a réussi, et il n’est pas près de s’inverser. Tu ne crois pas ?

« Je pense comme toi, Sint, un ordre du monde se reconstruit, et la culture y tient le rôle central. Il nous enseigne à l’occasion sur ce qu’elle est au plus profond d’elle-même. »

« La culture demeure une notion floue. On la soupçonne d’être partie liée avec la religion, et celle-ci n’est pas non plus une notion bien nette. »

« Je crois que les deux sont brouillées parce que nous y cherchons d’abord des fonctions qui viseraient à unifier les hommes, à conforter leur cohésion dans des groupes. »

« Je crois que ce serait plutôt l’inverse : Relativiser ce qu’on appelle la société, la distancier plutôt. Tu ne penses pas Sint ? »







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© Jean-Pierre Depétris, août 2023

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Adresse de l’original : http://jdepetris.free.fr/Livres/Sint_II/




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